Du déterministe à la complexité du “script” – 3

Des usages émergent et deviennent sociaux

Intégré dans le récit qui découle de ce dialogue  – qui n’a rien de linéaire –  et imprégné de celui-ci,  l’outil agit comme un vecteur non neutre, approprié et re-signifié par l’utilisateur en fonction de sa propre cartographie socio-culturelle, voire adapté à de nouveaux usages. Car, contrairement à ce que prône le déterministe, l’utilisateur est loin d’être un récepteur passif.

Même si l’outil n’est pas prescriptif (ou pas forcément), il est passible d’influencer le comportement de l’utilisateur, de créer des nouvelles valeurs, de nouvelles cultures et identités sociales  à travers une stabilisation – par la récurrence – des usages. Et de normaliser ces usages auprès des sujets. 

Ainsi, cet usage est défini par Millerand (1998) comme une utilisation “repérable et analysable à travers des pratiques et des représentations spécifiques”. Et devient “« social » dès qu’il est possible d’en saisir – parce qu’il est stabilisé – les conditions sociales d’émergence et, en retour d’établir les modalités selon lesquelles il participe de la définition des identités sociales des sujets”.

À titre illustratif, l’approche actuelle sur l’accessibilité numérique s’inscrit dans une standardisation de représentations sur le handicap, émergeant à partir de modèles issus de combats menés depuis longtemps (Marquet, 2019). 

Ainsi, les associations défendant les droits des personnes handicapées ont réussi progressivement à renverser les termes du problème de l’exclusion : plutôt que de faire porter la responsabilité sur les personnes handicapées, ces associations ont présenté les outils numériques comme un ensemble d’entraves structurelles et systémiques à l’accès à l’information. Ainsi, graduellement, le sujet n’est plus considéré comme un « corps déficient », mais comme une personne « en situation de handicap » dû à des structures (dont des structures numériques) défaillantes. 

Les standards qui visent à réguler les outils sont créés pour pallier ces défaillances et génèrent de nouvelles normes numériques – qui concernent l’accessibilité, la conception inclusive, et d’autres normes visant à garantir l’égalité des chances pour tous les utilisateurs – y compris ceux qui ont  des besoins spécifiques.

Ces usages sont normalisés par des processus d’élaboration et de validation impliquant l’Etat, des groupes d’experts et parfois même des parties prenantes. Ces processus incluent des étapes telles que la recherche, la consultation publique, la rédaction de documents comme le RGAA. Une fois établis, ces standards sont adoptés (volontairement ou de manière contrainte) par les concepteurs, ou intégrés dans des réglementations gouvernementales pour assurer leur application généralisée. Ainsi, le RGAA (ou la loi de 2005 pour généraliser ce processus à des structures matérielles) est-elle une illustration d’un usage devenu “social”.

Les usages stabilisés dépolitisent le script

Dans le script, l’intention attribuée par le concepteur à l’interaction outil-sujet est  passible d’être re-signifiée par le sujet. L’usage stabilisé et naturalisé par la récurrence aurait comme conséquence la dissimulation des intentions des concepteurs et produirait, a posteriori, une histoire “révisée” du script.

Cela peut entraîner l’effacement – et la dépolitisation – dans le script de la complexité des négociations, compromis, et traductions parfois tendues, qui ont présidé à la conception de l’outil. 

Ce processus de naturalisation contribue également à dissimuler le manque de neutralité des outils, les rendant “invisibles” et intégrés dans la vie quotidienne.

“Le vocabulaire de la représentation médiatisée est composé tantôt de néologismes (« géolocalisation »), tantôt de réinvestissements sémantiques (« ma position », « mon album »), tantôt d’hybridations avec le sociolecte marchand (un « mur Facebook », un « fil Twitter »). Cette palette d’usages, ou de mésusages, de la langue marque l’emprise discrète des dispositifs techniques, qui se fait oublier en raison de l’utilité de ces objets au quotidien. Le terme de « représentation numérique » se déploie en outre sans que soient questionnées les procédures d’enregistrement des phénomènes ni le pouvoir des plateformes à surdéterminer le réel.” Garmon, I., & Candel, É. (2021)  

Partie 4 – A qui bénéficie le déterminisme ?


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