Du déterministe à la complexité du “script” – 1

Avant-propos

Après un cycle vertueux de remise en question professionnelle, propice à une analyse de critique – grâce à ma reconversion vers l’UX et la formation -,  je décide d’abandonner définitivement l’utilisation de pratiques abusives et douteuses telles que les dark patterns et les manipulations en tout genre, et  je me rends compte qu’il subsiste une interrogation.

Pendant plusieurs années, l’utilisation d’un certain nombre de stratégies éditoriales questionnables étaient clairement payante lorsque j’analysais les retours statistiques de mes campagnes. Les taux de clics des campagnes lifestyle fonctionnaient bien si je respectais la règle “les femmes pour le care et les hommes pour les produits technologiques”, par exemple. Swoggette, par exemple, était notre valeur sûre, indétrônable.

En 2008, chez MSN, j’ai créé la maquette de la landing page de promotion de la sortie en DVD de la saison 5 de la série “The L Word” – une série télévisée américaine emblématique pour l’époque,  de par sa représentation réfléchie de la vie des femmes lesbiennes, bisexuelles et des personnes transgenres. Cette représentation dépassait souvent les stéréotypes, offrant ainsi une perspective inédite des expériences de la communauté féminine LGBTQ+ – qui, jusqu’à ce moment, avait été invisibilisée ou réduite à une représentation entièrement sexualisée, d’où le caractère révolutionnaire de cette série. Cependant, mon choix de l’image “accrocheuse” illustrant la landing page – image, d’ailleurs, choisie parmi un abondant matériel promotionnel – validait un regard hétéronormatif qui était à l’antipode des thèmes abordés dans la série – tels que l’amour, l’acceptation de soi, les relations familiales, les enjeux sociaux et politiques liés à la communauté queer.

Cette décision m’amène à me questionner : est-ce que je répondais à une demande d’un marché misogyne par défaut ? Est-ce que je participais à la stabilisation des modèles misogynes ? Les deux ? 

Je me débarrasserai d’une vision déterministe réductrice – axée sur “l’impact” d’un l’outil “autonome” sur la société – pour tomber dans une version toujours déterministe mais encore plus radicale : l’outil serait prescriptif ?

Dans ce passage, Madeleine Akrich défini la complexité de la trame numérique à partir d’un terme qui elle nomme « script » – terme que j’adopterai dans la partie 2 :“Le script effectue un partage des compétences, au sens large du terme ; une grande partie des choix réalisés par les concepteurs peuvent être directement lus comme une réponse à la question : que dois-je déléguer à la machine, que puis-je laisser à l’initiative des humains ? Au travers de ce type de décisions, le concepteur affine le scénario, le script à partir duquel l’histoire future du dispositif doit s’élaborer : il ne se contente plus de fixer la distribution des acteurs, il donne maintenant la « clé » à partir de laquelle tout événement postérieur pourra et devra être interprété ; (…) il y a de grandes chances pour que son script soit un des éléments constitutifs du sens attribué à l’interaction objet-utilisateur, ce dernier enrichissant l’histoire de sa propre expérience.” 

Partie 2 : Comme vu, dans cet extrait, le script – de son idéation par le concepteur à la réception et ré-assignation de sens par l’utilisateur – n’est pas linéaire ni neutre mais complexe et dynamique. Toute simplification ou focalisation réduisant ce processus à travers le prisme d’un ou des acteurs uniques – comme, par exemple, penser que l’outil est prescriptif – est idéologique. Lire la suite ->


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